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29/11/2013

Volontarisme ou fatalisme ?

«J'en entends certains qui disent : arrêtons-nous et discutons des conséquences de la mondialisation. Autant débattre pour savoir si l'automne doit succéder à l'été ! Ce n'est pas ce que font les Indiens et les Chinois : eux saisissent leurs chances et le moyen de transformer leurs vies mais aussi les nôtres...» Ainsi s'exprimait Tony Blair devant un congrès travailliste, écrivait François d'Orcival dans une de ses chroniques du Figaro Magazine.

Intéressant ce parallèle entre le phénomène artificiel de la mondialisation et celui naturel des saisons, comme si la mondialisation était écrite dans le ciel, n'avait pas été décidée par des hommes et ne demandait qu'à être accompagnée. Et intéressant ce refus d'une pause et du débat, comme si l'évaluation des conséquences était une perte de temps et que la question avait été tranchée démocratiquement et définitivement.

En 1958, Hannah Arendt dans son livre Condition de l'homme moderne, expliquait que «(...) dénués de la faculté de défaire ce que nous avons fait, de contrôler au moins en partie les processus que nous avons déclenchés, nous serions les victimes d'une nécessité automatique fort semblable aux inexorables lois qui, pour les sciences d'avant-hier, passaient pour caractériser essentiellement les processus naturels». Nous y voici.

La mondialisation devait arriver inévitablement et c'est une formidable occasion pour qui saura la saisir, disent les uns. Mais d'autres disent comme Martin du Gard : «Tout ne commence vraiment à être irrémédiable qu'à partir du moment où (...) les meilleurs renoncent, et s’inclinent devant ce mythe : la fatalité des événements». En fait, nous ne savons plus si la mondialisation est une bénédiction ou une malédiction, ou les deux.

Cité par Alain Finkielkraut dans Nous autres, modernes chez Ellipses, Paul Valéry pensait que l'homme «excédé de n'être qu'une créature» s'est fait créateur, mais qu'«il ne sait jamais ce que fait ce qu'il fait», qu'il n'a pas le contrôle des conséquences de ses actes. "Le goût de l'action, la foi en l'homme" ne suffisent plus. Il faut protéger l'homme contre lui-même, ce Prométhée moderne qui se veut omnipotent et omniscient.

Dans Le Principe responsabilité, Hans Jonas affirmait : «Le Prométhée définitivement déchaîné, auquel la science confère des forces jamais encore connues et l'économie son impulsion effrénée, réclame une éthique qui, par des entraves librement consenties, empêche le pouvoir de l'homme d'être une malédiction pour lui». Il n'y a pas de fatalité, jamais. Pour Romain Rolland, «La fatalité, c'est l'excuse des âmes sans volonté».

05/11/2013

Un horizon pour avancer

Pour mieux comprendre la situation actuelle, il suffit d'un seul chiffre : seuls 15 % des Français jugaient en 2004 que le monde allait dans la bonne direction, selon une enquête réalisée par l'institut de sondage TNS-Sofres et Capgemini auprès de 2 298 salariés. Et Le Monde qui en rendait compte, ajoutait que c'était «Une opinion partagée par un Britannique sur trois, près d'un Américain sur deux, et trois Chinois sur quatre».

Les Occidentaux et les Français - «parmi les plus pessimistes» - étaient déjà en train de prendre conscience qu'ils avaient mangé leur pain blanc ? En tout cas, la confiance était du côté du soleil levant et du soleil au zénith. La Chine s'éveillait mais aussi l'Inde et d'autres pays comme le Brésil qui ne rêvent que d'une chose : notre mode de vie. Ils ont faim et ce ne sont pas des peuples rassasiés jusqu'au dégoût qui les empêcheront de l'assouvir.

Ceci dit, derrière les "miracles économiques", il y a des réalités humaines qu'on peut comparer à celles de notre XIXe siècle. Mais l'horizon qui est montré à ces populations, les entraîne et les entraînera sans doute jusqu’"au point où nous en sommes". Désenchantés, les Français ont découvert les mirages du "miracle", réalisé qu’"il n'y a pas de quoi crier miracle" et cessé de "Croire aux miracles", d’"être crédules et optimistes".

Aujourd'hui, les horizons sont limités et n'ont rien de nouveau. Les perspectives d'avenir se bornent à un «Croissez et multipliez» biblique sans borne. Et pour tout dire, nos décideurs avec leur compétition permanente, semblent ennuyer nombre de nos concitoyens. «La seule politique possible» multiplie les contraintes impersonnelles, anonymes, qui font des hommes ce qu'elles "veulent" et frappent en premier lieu les "sans défense".

Combien d'hommes sont des "malgré-nous", enrôlés de force dans une logique qui leur fait "faire des choses à contrecœur" ?! Valéry écrivait : «Ce ne sont pas du tout les "méchants" qui font le plus de mal en ce monde». Non, ce sont des "gens bien" - certains aux grands pouvoirs, de grand savoir - qui assument tous leurs devoirs et causent des torts "sans le vouloir" et sans avoir à les réparer. Alors quelle arme reste-t-il au "désarmé" ?

A force d'être "mis devant le fait accompli" ou devant «l'inéluctable», il peut se raidir, se figer, "envoyer tout promener" et "jeter le bébé avec l'eau du bain". Marre d'y aller "à son corps défendant". Ce qu'il aimerait, c'est "changer d'horizon", "voir autre chose". Qu'attendent nos gouvernants pour "ouvrir des horizons nouveaux", proposer des projets d'avenir ? Car il faut un objectif en vue, "avoir un but dans la vie" pour avancer.

18/04/2012

Voter utile, c'est se rallier

"Voter utile", quoi de plus contraire à la démocratie ?! Voter "pour un candidat susceptible d'être élu, plutôt que pour celui qu'on préfère", c'est un peu comme "voler au secours de la victoire", "agir une fois que la victoire est assurée". Les sondages la prédisent et tout suit. «Le monde n'est que franche moutonnaille»(La Fontaine). Et à ceux-là qui se rallient à l'opinion de la majorité s'ajoutent ceux-ci dont les opinions sont dictées par l'intérêt.

«J'ai raté ma carrière politique, disait Jean Lecanuet. J'aurais dû être gaulliste ou socialiste. Je n'aurais pas passé ma vie à courir après des élus qui, chez nous, suivent les vents et ne songent qu'à aller à la soupe.»Est-ce que les choses ont changé depuis ? Celui ou celle qui a le plus de chances de gagner, voit se rallier les opportunistes avant de rallier les suffrages. Mais est-ce le (ou la) meilleur(e) ou est-ce le (ou la) mieux placé(e) ?

Tout est une question de place. On joue un des chevaux donnés gagnants et placés pour obtenir une place. On joue placé pour toucher. Mais la démocratie n'est pas un pari ou un calcul. L'enjeu de la partie n'est pas la victoire de tel ou telle avec des gains à empocher. Ou si c'est un jeu, il est dangereux car il fait le jeu des ambitieux sans scrupules, prêts à s'asseoir sur leurs convictions pourvu qu'ils soient du camp victorieux.

Winston Churchill définissait ainsi l'homme politique : «Être capable de dire à l'avance ce qui va arriver demain, la semaine prochaine, le mois prochain et l'année prochaine. Et être capable, après, d'expliquer pourquoi rien de tout cela ne s'est produit». Et Franz-Olivier Giesbert(1) de noter qu'en effet souvent «Le discours n'a (...) aucune importance. C'est un instrument de conquête ou de séduction. Pas de vérité ni de pédagogie».

Saint-Simon(2) décrivait Mazarin comme «Un étranger de la lie du peuple, qui ne tient à rien et qui n'a d'autre Dieu que sa grandeur et sa puissance, ne songe à l'État qu'il gouverne que par rapport à soi. Il en méprise les lois, le génie, les avantages ; il en ignore les règles et les formes, il ne pense qu'à tout subjuguer». Que les partisans vainqueurs se méfient : «Passer sous un arc de triomphe, c'est aussi passer sous le joug»(Paul Valéry).

Revenons à l'esprit républicain. "Le président d'une république n'est que le primus inter pares", "le premier entre ses égaux". L'enjeu d'une élection, c'est la victoire d'idées, d'un projet, d'une vision. "Au premier tour on choisit, au second on élimine", oublier cela c'est aggraver la bipolarisation faite pour canaliser les déçus et pour se succéder en alternance, et qui, si elle devenait systématique, constituerait «un recul de la démocratie»(Philippe Breton).

(1)La Tragédie du Président, scènes de la vie politique 1986-2006 - Flammarion

(2)Mémoires - tome V de la Pléiade chez Gallimard